Consultation Alexandrine Mackenzie #1 [Terminé]

Lydia entra dans son bureau d'une démarche légère. Elle prit bien soin de ne pas refermer la porte derrière elle, comme une invitation à quiconque ressentirait le besoin d'entrer. La psychologue était consciente que la plupart des pensionnaires n'avaient jamais rencontré de psychologue de leur vie. Rebelles et sauvages, ils fermaient leur coeur à toute aide extérieure. Cela la frustrait un peu, mais surtout, cela la motivait à trouver des moyens pour les convaincre de ne pas avoir peur de venir la voir. C'est pourquoi Lydia avait tenté d'aménager son bureau de la façon la plus chaleureuse qui soit. Elle avait relégué sa table de travail au fond du bureau, de façon à ce qu'on l'oublie facilement. Elle ne voulait absolument pas que son bureau ressemble à celui d'un directeur ou d'un scientifique. En fait, son bureau ressemblait plus à un petit salon douillet et invitant. Sur le mur gauche, on retrouvait une causeuse en velours marron faisant face à deux fauteuils ultra-moelleux assortis, le tout agrémenté de coussins vert pomme et rouge vif. Sur le mur droit s'étalait une grande bibliothèque en bois d'acajou ouvragé dans laquelle reposaient ses ouvrages de poésie et de philosophie fétiches, ses romans préférés ainsi que nombres de références psychologiques acquises au cours de ses années d'étude et de recherche. Elle avait fait installer à son arrivée un plafonnier qui diffusait une lumière plus tamisée que le néon traditionnel, qui rajoutait à l'ambiance confortable crée par les murs couleur sable. Au fond, derrière son bureau, il y avait une grande fenêtre donnant sur le parc du pensionnat, encadrée de rideaux voilés vert pomme. Bref, le résultat était assez réussi et elle en était fière.Lydia s'approcha de sa bibliothèque et effleura de la main les livres qui se trouvaient sur la quatrième rangée. De ses doigts délicats, elle sortit un recueil de Rimbaud, Le Cahier de Douai. Elle s'installa tranquillement dans un des deux fauteuils, profitant tranquillement de la poésie en espérant la visite d'un des pensionnaires...

Alexandrine avait souvent repensée à son ancienne colocataire de dortoir. Celle-ci était partie pour une raison inconnue et Alex trouvait que c’était parfait ainsi. Mais elle avait toujours ce souvenir des lèvres de Shane sur les siennes si bien que ça l’obsédait souvent une bonne partie de la nuit… le jour, dans ses cours, dans ses pauses… Elle ne pouvait pas s’enlever ça de la tête. Ce n’était pas Shane, c’était le fait de s’être fait embrassée par une fille. La douceur de ses lèvres, la délicatesse de ses mouvements, l’envie qui était monté en elle suite à cet événement. Elle tournait en rond dans son dortoir, elle ne savait pas quoi faire de ses dix doigts. Elle s’alluma une cigarette et commença à écrire dans son petit carnet noir qu’elle laissait sur le coin de son bureau. Personne n’avait jamais été autorisé à lire quoique ce soit de ce qu’il y avait d’écrit à l’intérieur, bien qu’il soit rempli au trois quarts.

Je suis seule dans le noir, j’ai peur la pièce dans laquelle je me trouve est noire. Je ne suis pas seule. Il y a quelqu’un derrière moi. Elle est douce, elle sent bon, elle est délicate et son visage, lorsque je la touche est gracieux. Mais je ne sais pas ce que je fais. Je ne sais plus qui je suis. Je ne sais plus grand-chose lorsqu’elle m’embrasse dans le cou. Pourquoi? Pourquoi moi qui ait toujours été qu’avec des garçons, des hommes… Il y a eu quelques femmes… mais elle restait lointaine et inintéressante. Pourquoi maintenant? Pourquoi elle? Pourquoi elle plus qu’une autre alors que, j’en suis persuadé, je ne le l’aime pas? Pourquoi? Je ne veux pas être ainsi de toute façon! Je ne suis pas

Mackenzie referma son cahier avec violence et éteignit sa cigarette rapidement. Elle regarda le cahier avec un œil accusateur, comme si tout était de sa faute. Elle resta ainsi plusieurs minutes avant de se lever de lancer son livre dans son sac à bandoulière et de quitter rapidement la chambre sans même prendre le temps de verrouiller la porte.

Elle marcha d’un pas décidé et descendit les escaliers quatre à quatre vers le premier étage. Ce n’est qu’à quelques pas de cette porte ouverte que ses pieds décidèrent de ne plus l’écouter. Elle stoppa net. Non! Pas elle! Alexandrine Mackenzie n’est certainement pas celle qui va aller voir la psychologue! Il n’en était pas question! Étrangement, c’était maintenant ses pieds qui n’écoutaient plus sa tête. Elle se remit à avancer avec réticence. Elle s’arrêta de nouveau à quelques centimètres de l’embrasure de la porte. Elle jeta un coup d’œil à l’intérieur. La psychologue était là. Elle lisait un livre. Alex pensa un instant que peut-être valait-il mieux la laisser tranquille dans sa lecture. Elle fouilla dans son sac. Et en sortit son petit carnet noir. Elle le regarda avec mépris et l’ouvrit à la dernière page. Celle où figurait le texte qu’elle venait à peine d’entamé. Elle réalisa qu’elle n’avait même pas prit le temps de se changer. Elle portait encore ce qu’elle avait porté la veille, elle avait les cheveux mélangé comme lorsqu’on vient de se réveiller. Ses vêtements noirs semblaient vieux. Ses converse n’était même pas attaché! Tant pis! Elle ne prit pas le temps de réfléchir. La réflexion l’aurait fait rebrousser chemin et elle le savait. Elle entra d’un pas précis, déposa délicatement le livre devant la psychologue, à la bonne page, et s’installa devant elle. Le regard fixé sur le regard de Lydia Callaway. Elle soupira attendant impatiemment une réaction de la psychologue.

- Ce soir-là, ... - vous entrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade ...
- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade

Voilà comment se terminait Le Roman de Rimbaud, poème que Lydia était trop absorbée à lire pour entendre sa visiteuse approcher. La psychologue eut d'ailleurs un léger sursaut quand la jeune femme déposa brusquement un petit cahier noir, ouvert, devant elle. Lydia leva les yeux vers elle : cheveux courts en bataille, vieux vêtements un peu froissés, air impatient. Elle avait déjà croisé cette fille à quelques reprises, mais elle ne connaissait pas son nom. Affichant un sourire rassurant, elle s'adressa à elle en lui tendant la main:

" Bonjour, je suis Lydia Callaway, mais tu peux m'appeler Lydia. Et toi, comment t'apelles-tu ? "

Elle ne voulait surtout pas effrayer ou faire fuir l'adolescente qu'elle devinait fragile sous ses airs de dure. C'est pourquoi elle tentait de se faire le plus détendue et informelle possible. La psychologue était tellement soulagée qu'un pensionnaire vienne enfin la voir, elle ne voulait surtout pas mal faire son travail et acquérir une mauvaise réputation - car Dieu sait comment les nouvelles vont vite dans ce un établissement rempli de jeunes.

Son regard se posa sur le cahier posé devant elle, grand ouvert sur une page à demi-remplie, impudique. Elle ne voulait pas lire tant que son interlocutrice ne lui aurait pas demandé. Lydia voulait d'abord tenter de lui faire verbaliser la raison de sa visite... Elle releva donc son regard sur la jeune fille et attendit sa réponse.


[HRP: Comment fais-tu pour aligner le texte avec une espèce de marge à gauche ?]

« Alex »

Alexandrine se contenta de cette simple réponse. Elle n’avait pas envie de parler elle voulait que la psychologue lise son texte et lui explique ce qui se passait dans sa tête et dans son corps. Elle ne voulait pas être là. Mais elle sentait que la seule façon de comprendre son état d’âme, c’était que quelqu’un d’autre le lui explique. Et pas question d’en parler à d’autre pensionnaire. Pour les autres pensionnaires elle était Mackenzie, la fille qui vous regarde de haut et qui a un air assez méchant pour les repousser.

Elle fixa un instant le cahier qui était resté devant la psychologue qui y avait jeter un regard mais sans vraiment y faire attention. Alex fronça les sourcils. Elle n’était pas satisfaite. Elle croyait qu’en entrant dans le bureau, Lydia lirait le texte et qu’elle n’aurait pas à prononcer un seul mot. Apparemment elle se trompait. Elle frotta ses paumes sur ses cuisse avant et pointer son cahier et d’ouvrir enfin la bouche

« Tu vas le lire? »

Alex n’aime pas vouvoyer les gens. Elle n’est pas très polie mais elle s’en fout éperdument. Elle attendit la réponse de la psychologue en frottant ses cuisses de plus en plus durement. Elle semblait sur les nerfs, elle était stressé et avait de la difficulté à le cacher. Elle remonta son regard jusqu’à Lydia et la fixa un instant. Mme Callaway était une belle femme, elle avait des traits forts dans son visage mais semblait douce et attentionnée. Alex continua de la fixer et glissa sa main dans sa poche. Elle en sorti un paquet de cigarette et en alluma une. Elle savait pertinemment qu’elle n’avait pas le droit, mais elle en avait besoin. Son regard vers la psychologue était un mélange étrange entre une demande d’aide et un défi qui se lançait par rapport au fait qu’elle fumait dans le bureau. Elle fumait en silence, assise dans le fauteuil en face de Lydia et continuait de la fixer avec son regard troublé, espérant que la psychologue ne dirait rien par rapport à sa cigarette.

• Exemple

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Tu met :

Exemple

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Lydia ne fut pas surprise outre mesure du ton dur qu'adopta Alex. Ah! Ces mécanismes de défense, parfois ! Elle savait bien que toute cette hargne n'était pas dirigée contre elle personnellement. Alex faisait de la projection sur elle, tout simplement. Mais à qui cette haine était-elle réellement destinée? Voilà le mystère qu'elle devrait aider l'adolescente à résoudre. La psychologue continua de regarder la jeune femme devant elle, qui ne semblait pas du tout à l'aise, voire plutôt nerveuse. Son regard ne cessait d'aller de son cahier à la Lydia et de Lydia au cahier. Puis, elle lui demanda assez rudement si elle avait l'intention de le lire.

"Eh bien..."

Lydia fut un peu décontenancée de voir Alex s'allumer une cigarette, juste devant elle, un air de défi dans les yeux. La psychologue détestait l'odeur de la cigarette et passa près de le faire remarquer à la jeune femme, mais elle se ravisa à la dernière seconde. Tous les efforts qu'avait dû déployer l'adolescente pour venir ici méritaient bien cette cigarette. De plus, elle ne voulait pas la faire fuir. Elle reprit donc :

" Je ne sais pas Alex. Est-ce que c'est ce que tu veux vraiment, que je lise ton carnet? Il m'a l'air un peu personnel... le fais-tu lire à beaucoup de gens? Je ne crois pas que ce soit vraiment de mes affaires. Chacun a droit à son jardin secret, je ne voudrais pas que tu regrettes de me l'avoir montré. "

Lydia tentait de se montrer convaincante, mais le regard de cette fille l'intimidait, comme si elle la jugeait constamment. Fermant les yeux un quart de seconde et prenant une grande inspiration, elle lui proposa:

" Et si on discutait, à la place? Pourquoi es-tu ici, Alex?"

« J’en sais rien… »

Elle se trouva alors stupide. Elle savait pourquoi elle était là. Elle ne voulait tout simplement pas le dire. Ce qu’elle ne savait pas, par exemple, c’était « pourquoi elle ne partait pas ». Elle se demandait en elle-même si ça pouvait fonctionner de parler à une psy. Et elle se demanda pourquoi, elle, Mackenzie, Alex, avait besoin d’une aide psychologique alors que tellement de jeune dans le monde n’en avait pas besoin. Bref, plusieurs questionnements tournaient dans sa tête. Elle laissa une question, à laquelle elle n’attendait pas vraiment de réponse, en suspens.

« Pourquoi moi… ? »

Son regard alla se poser sur le livre que Lydia venait de terminer… de la poésie? Elle s’attarda un instant sur ce livre pour ne pas avoir à parler. Puis, elle décida de commencer, sur un terrain neutre.

« C’est de la poésie?... J’aimais bien la poésie avant. »

Elle baissa une fois de plus le regard. Encore une fois elle n’attendait pas vraiment de réponse à sa question. Elle faisait juste tourner autour du pot. Elle ne savait pas quoi dire. Mais Lydia avait posé une question. Alex se dit que si elle ne voulait pas parler d’elle-même elle allait au moins répondre aux questions que la psy lui poserait.

« Je suis ici parce que j’ai peur de moi. »

Lydia se doutait bien qu'elle n'obtiendrait pas de réponse claire et précise à propos de la raison de la présence d'Alex dans son bureau. Toutefois, ce "j'en sais rien" la rendit perplexe. En même temps, cela avait rendu Alex plus fragile et beaucoup moins intimidante à ses yeux, ce qui lui redonna confiance. Puis, elle vit la jeune femme s'intéresser à son recueil de poésie.

"C'est de la poésie?... J'aimais bien la poésie avant."

Puis, quelques secondes plus tard:

"Je suis ici parce que j'ai peur de moi."

Lydia fut surprise de cette réponse inattendue. Elle devina aussi ce que ça avait dû coûter à Alex de dire cela. Voilà pourquoi elle choisit, non pas d'ignorer sa dernière affirmation, mais plutôt de se concentrer sur la première... qui l'amènerait peut-être à découvrir ce qui se cachait sous la deuxième. En psychologie, on ne devait pas être trop direct, car les réponses sont souvent cachées là ou on s'y attend le moins. Lydia attrapa donc son recueil de poésie et le présenta à Alex:

"Oui, de la très bonne poésie d'ailleurs. C'est Rimbaud. Tu connais Rimbaud... Le dormeur du val est sans doute son poème le plus connu. Je sais qu'on l'analyse souvent en classe, tu l'as probablement déjà entendu. "

Sans même ouvrir le livre, la psychologue se mit à réciter le poème.

"C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

J'adore ce poème, il est si touchant. Tu aimais la poésie... avant quoi, Alex?"

Elle savait qu'elle avait probablement réussi à apaiser un peu sa patiente en citant Rimbaud. Elle espérait une réponse positive de sa part.

« Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Souriait un enfants malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

C’est beau… »

Elle avait simplement répété après la psychologue, Alex avait une bonne mémoire et avait retenu par cœur la partie du poème qui l’avait le plus touché. Elle aspira une bouffée de sa cigarette. La cendre commençait déjà à s’accumulé au bout du petit bâton de poison qu’elle tenait entre ses doigts. Elle regarda la psychologue avec interrogations, lui demandant du regard à quel endroit elle devait déposer la cendre. Elle resta silencieuse un moment, mais malheureusement lorsqu’elle restait silencieuse, ses idées devenaient confuses dans sa tête. Elle leva les yeux au plafond et fixa un instant le luminaire, sans vraiment le voir tant ses idées étaient mélangées. Elle regarda la psychologue dans les yeux et au travers de son regard dur, Lydia put entrevoir un brin de faiblesse et une infinie tristesse.

« Avant que mon père ne m’abandonne »

Elle se rappela avec douleur son enfance merveilleuse, avec sa mère et son père qui étaient très présent pour elle. Puis elle entrevit son adolescence avec la mort de sa mère et son père qui se noya dans le travail. Puis… elle vit sa déchéance. Et une larme perla sur sa joue. Larme qu’elle s’empressa d’essuyer d’un revers de manche. Ses yeux étaient fixés sur le sol. Elle se frotta nerveusement la cuisse, prit une bouffée de nicotine et souffla lentement la fumée dans la pièce.

« Avant que je ne devienne ce que je suis… »

Lydia fut surprise qu'Alex laisse tomber ses barrières aussi facilement. Elle lui avait semblé si lointaine derrière sa façade lorsqu'elle était entrée dans son bureau. Maintenant, elle avait l'air d'une toute petite fille perdue. Lydia devait se concentrer pour ne pas trop se laisser attendrir, c'était ce qu'elle trouvait le plus dur dans son métier. Elle devait faire preuve d'empathie, oui, mais pas de sympathie. Elle ne devait pas vivre les émotions des autres, mais elle devait toutefois les comprendre. Voyant que la cendre de la cigarette de sa patiente pendait dangereusement, elle attrapa un verre vide qui traînait sur la table d'appoint et le lui tendit, un sourire compréhensif sur les lèvres.

La psychologue souhaitait ardemment venir en aide à cette fille, elle sentait que c'était possible, que l'adolescente était venue ici de son propre gré et qu'elle avait envie d'aller mieux. Mais pour arriver à l'aider dans le présent, elle devait connaître son passé. C'était une phase assez délicate lors d'une thérapie, et souvent la plus difficile, mais il fallait passer par là.

" Alex, et si tu me racontais ton histoire? Ou du moins... les bouts les plus marquants, importants... en fait, si tu me racontais le premier souvenir qui te passe par la tête? Je ne te jugerai pas, je veux simplement comprendre, pour t'aider à comprendre."

La psychologue avait fait sa requête d'un doux, invitant à la confidence. Elle voulait qu'Alex comprenne que si elle ne souhaitait pas répondre, elle n'était pas obligée, et qu'en fait, elle pouvait lui dire ce que bon lui semblait.

« Il n’y a qu’une chose qui me passe par la tête… à tous les jours. Et tu la connais déjà, elle est inscrite dans mon dossier. »

Alex pensa à cet homme. Celui qu’elle avait tué. Celui qui était attendu par sa femme enceinte lorsqu’une adolescente trop droguée, inconsciente de sa force, l’attaque par peur de se faire attaquer et le tua. Elle s’en voudrait toute sa vie. Croyant se faire suivre elle s’était défendu. Pendant que la psychologue la regardait attendant certainement la suite de ce qu’elle devait dire, Alex changea tout son mode de pensés et revint au sujet premier qui l’avait fait mettre les pieds ici. C’est-à-dire, le fait qu’elle aime quelqu’un. Voyez, Alex n’est pas une personne qui aime quelqu’un. Alex est du genre très lointaine. Elle n’aime personne et personne ne l’aime vraiment. Du moins, c’est ce qu’elle croit.

Voyant que Lydia insistait un peu du regard pour avoir la suite de sa phrase, Alex poursuivit, elle poursuivit avec une phrase n’ayant aucun rapport avec la première certes, mais Lydia avait demandé la première chose qui lui passe par la tête non?... Eh bien qu’elle se démerde!

« C’est de sa faute, quand je suis arrivée ici, je n’avais pas de problème. Et là regarde-moi! Merde!... Pourquoi elle est venue ici elle? Si je l’avait jamais rencontré… je ne serais pas dans ton bureau, darling! »

Elle se mordi la lèvre en entendant son "darling" cette malformation linguistique dont elle était incapable de se débarasser...

Ce qu’Alex entendait par là, c’est que sans la présence de Shane, qui avait tout simplement bouleversé l’équilibre précaire de ses souvenirs et de ses émotions, elle serait aujourd’hui dans sa chambre, aucune émotion ne prédominerait sur l’autre et elle serait bien heureuse dans son inconscience. Mais cette petite personne qui avait fait irruption dans sa vie, lui avait fait comprendre à quel point elle était malheureuse. Malheureuse de ne pas être aimé de personne, malheureuse d’être toxicomane, malheureuse d’être dans un pensionnat, malheureuse d’avoir tué un homme, malheureuse de n’aimer personne.

Elle fuma en gaugeant la psychologue du regard, toujours sur la défensive, les jambes prêtes à bondir pour sortir du bureau. Son regard extrêmement dur cachait une grande tristesse que Lydia pouvait surement lire dans son visage et dans son corps.

Lydia sentait beaucoup de confusion dans le discours d'Alex. Son "darling" la rassura un peu. Cela prouvait qu'elle avait bien fait son travail et qu'Alex lui parlait comme elle aurait parlé à une amie, du moins, c'était ce qu'elle croyait. La jeune femme semblait profondément malheureuse maintenant qu'elle avait laissé tomber ses airs de dure à cuire. Elle mentionna son dossier, mais Lydia n'en avait pas souvenir. À vrai dire, elle ne connaissait pas les dossiers de tous les pensionnaires par coeur. Elle avait pris pour habitude de les lire seulement après leur première rencontre, cela lui donnait un regard plus objectif sur la situation. Elle n'en glissa pas mot à Alex, de peur qu'elle croit qu'elle était incompétente.

Toutefois, la deuxième partie de son témoignage la toucha plus. Elle? Depuis qu'elle était arrivée ici? Mais qui était donc cette elle qui semblait troubler autant son interlocutrice? Était-ce ce qui était écrit dans le fameux carnet noir qui se trouvait devant elle? Elle n'osa pas revenir sur sa décision de ne pas le lire, mais s'adressa plutôt de nouveau à Alex:

" Tu sais, ce qui est écrit dans vos dossiers est plutôt froid et impersonnel. C'est la vision de la justice, de la direction, le point de vue de l'autorité. Moi, ce n'est pas la version officielle qui m'intéresse. Toutefois, si tu ne souhaites pas en parler, je comprendrai."

La psychologue prit une pause afin de laisser à sa patiente l'occasion d'ajouter quelque chose si elle le désirait. Puis...

" Je ne sais pas de qui tu parles. Mais cette personne semble t'avoir bouleversée énormément. "

« Je ne sais pasce qui m’arrive. Je ne m’attache à personne habituellement… jamais ce n’estjamais arrivé. »

Encore une fois les souvenirs d’Alexlui revint en mémoire. Elle prit le temps de se remettre les idées en place. Elleparlait de deux sujets à la fois et cela commençais lentement à la faireangoisser. Elle avait les mains qui tremblant et la voix incertaine, elle fermales yeux et se concentra sur une seule chose. Mais, de laquelle de ses deuxchoses voulait-elle vraiment parler?... Peut-être des deux. Elle se concentraet resta ainsi pendant un moment, espérant que Lydia ne parle pas, pour qu’ellefinisse enfin par choisir ce qui la dérangeait le plus. En fait, ce qui ladérangeait le plus était clair. Mais si elle voulait en parler c’était uneautre affaire. Elle décida d’aller en terrain neutre. En commençant par sonaventure avec Shane. Et de toute façon, peut-être ensuite aurait-elle assezconfiance pour parler de la mort du jeune homme.

« Je n’arrive pas àcomprendre. Je veux dire… »

Elle prit une pause. Son tonétait beaucoup plus calme et même qu’elle arrivait a contrôler sa respirationet le tremblement de ses mains. Elle n’avait pas eu l’air aussi pausé depuis qu’elleavait mis les pieds dans le bureau.

« Depuis… Quand…Depuis que mon père ne me parle plus, j’ai tout fait pour qu’il me remarque. J’aifait des crises, j’ai raté volontairement des cours à l’école, je sortais tousles soir dans les bars… même si je n’ai pas l’âge de le faire, mais rien nemarchait alors j’ai commencé à découcher… chez des gars, chez des filles… maisça ne marchait pas. J’ai alors commencé à ramener des filles et des gars chezmoi… des fois les deux à la fois. Mais tu vois, ça ne m’affectait pas moi. Ces gens…j’en avait rien a foutre. Je ne saurais même pas les compter ou dire leurs noms.Mais même ça, ça ne marchait pas. Je ne voyais jamais les mêmes personnes. Maisil y a de ça peut-être mois, il y a eucette fille qui a passé quelque jours ici, je ne sais pas ce qu’elle est devenu…je ne sais pas où elle est. Elle est toujours dans ma tête… mais... je ne suispas…. Je ne suis pas lesbienne tu vois?... je comprends plus rien, je ne veuxpas être attaché a quelqu’un. Ça fait mal s’attacher à quelqu’un parce que lesgens à qui on s’attache s’en vont toujours… toujours. »


Elle s’arrêta. Elle attendait uneréponse de la psychologue tout en espérant qu’elle ne la prendrait pas trop auridicule… car maintenant, là, Alex se trouver très ridicule….

La psychologue devinait son interlocutrice tourmentée. Elle la voyait se tordre les mains sans arrêt et se mordiller les lèvres de façon hésitante. Alex semblait vraiment tourmentée, comme tiraillée d'un côté et de l'autre. Elle pouvait voir dans son regard les idées qui se bousculaient dans sa pauvre tête. Un certain temps s'écoula. Pourtant, Lydia ne dit pas mot. Elle se contenta de regarder la jeune femme sans la fixer, l'enveloppant de son regard doux. Elle voulait qu'Alex comprenne qu'elle pouvait prendre son temps, qu'elle ne la pressait pas de répondre.

Après avoir prononcé quelques mots hésitants, sa patiente prit une pause. En quelques secondes, Lydia put observer et sentir un véritable changement s'opérer en Alex. Elle sembla se décrisper, se détendre, ses mains s'immobilisèrent. La psychologue ne put s'empêcher de sourire un peu: elle avait réussi à mettre l'adolescente en confiance. Cette dernière allait enfin s'ouvrir à elle, dans toute sa simplicité. Le masque était complètement tombé. Elle écouta attentivement les paroles qui suivirent. Alex lui parlait de ses tentatives pour attirer l'attention de son père: les garçons, les filles, la provocation, la froideur. Il était clair que cette enfant aurait tout donné pour une miette de fierté de la part de son père. Puis, elle lui parla d'Elle, que Lydia identifia immédiatement à l'inconnue dont Alex lui avait parlé quelques minutes plus tôt. La psychologue commençait à comprendre pourquoi la jeune femme avait été si troublée par cette inconnue. La question de l'orientation sexuelle à cet âge - à tout âge, même - était toujours délicate. Toutefois, la question de l'attachement émotionnel semblait préoccuper sa patiente encore plus. C'est pourquoi elle pesa bien ses mots avant de s'adresser de nouveau à Alex.

" Je sais que c'est peut-être difficile à croire. Je ne sais pas par ou tu es passée, ni tout ce que tu as vécu, mais je peux t'assurer que l'attachement n'est pas toujours synonyme de douleur. "

Lydia prit une pause. Elle ne put s'empêcher de penser à Eldrick, qu'elle avait tant aimé et qui l'avait tant fait souffrir.

" Toutefois, il est vrai que dans certains cas, on vive de mauvaises expériences, qui peuvent nous enlever le goût de l'amour et de l'amitié. Mais l'humain est un être social, nous avons besoin de côtoyer, d'apprécier, d'aimer des gens, tout comme nous avons besoin d'être valorisé et aimé à notre tour. Parfois, il faut laisser une chance à l'attachement, mais pour que ça fonctionne, tu dois te faire confiance à toi-même d'abord, savoir qui tu es, ou qui tu veux être et t'apprécier toi-même avant tout. Peu importe que tu aimes les femmes ou les hommes ou même les deux, si c'est ce qui te rends heureuse. Si tu es d'accord, nous pourrions essayer de travailler là-dessus ensemble. "

Lydia reprit son souffle. Elle espéra qu'elle n'avait pas trop fait peur à Alex.

Lydia sentait qu'Alex était sur le point de se refermer. Elle parlait assez vite et restait évasive. Son rapport à l'amour semblait assez négatif, probablement terni par une enfance malheureuse et une adolescence à la dérive. La femme en Lydia avait du mal à croire que des parents puissent laisser leur enfant se rendre dans un tel état, mais la psychologue en elle lui répétait que ces parents devaient être aussi malheureux, eux aussi aux prises avec un passé difficile. Le cercle vicieux de la violence et du malheur, l'histoire des temps modernes. Elle sentit le regard d'Alex tenter de la percer, de voir en elle, mais elle ne laissa transparaître que douceur et empathie.

Lydia eut un pincement au coeur quand l'adolescente, plus sincère que jamais, lui avoua ne pas croire qu'elle méritait d'être aimée. Elle aurait voulu lui crier le contraire, la serrer dans ses bras, mais son professionnalisme l'en empêcha. Heureusement d'ailleurs, car la réaction d'Alex aurait sûrement été de s'enfuir à toutes jambes, elle qui n'était pas habituée aux marques d'affection. Lydia hésitait entre poursuivre la conversation et creuser plus loin, au risque de voir sa patiente de refermer sur elle-même ou bien l'inviter à revenir plus tard, un autre jour, au risque de ne plus la revoir.

Toutefois, elle préféra laisser sa curiosité de côté. Le pas qu'Alex avait fait aujourd'hui en venant la voir était un pas de géant. De plus, l'adolescente lui avait révélé plus de choses que ce à quoi elle s'attendait pour une première séance. Ainsi, suivant son instinct de psychologue plutôt que son instinct maternel, elle s'adresse à sa patiente:

" Alex, tout le monde, peu importe ses paroles ou ses agissements, mérite d'être aimé. Chaque individu à quelque chose de beau en dedans de lui à offrir, si petit ce quelque chose soit-il. Ton devoir, c'est de travailler sur ce petit quelque chose pour le faire fleurir, grandir et ainsi arriver à t'apprécier telle que tu es. Je me doute de ce que venir ici aujourd'hui à dû te coûter comme efforts. Je crois que tu dois être fatiguée et que tu as besoin de réfléchir à ce dont on a discuté. "

Lydia hésita un peu avant de continuer, elle essayait d'appâter Alex afin d'être certaine qu'elle revienne la voir si elle en sentait le besoin. Son regard se posa sur la table basse et elle aperçut son recueil de Rimbault. Voilà la solution! Elle l'attrapa et le tendit à la jeune femme.

"Tiens, j'ai cru comprendre que tu aimais la poésie, et que tu avais apprécié le Dormeur du Val. Je te le prête. Prends le temps de le lire, ramène-le moi quand tu veux. "

Puis avec un grand sourire qui se voulait rassurant, elle ajouta:

"N'hésite pas à revenir Alex... quel est ton nom complet, au juste?"